N’opposons pas les différentes formes d’agriculture urbaine !

Billet de Grégoire Bleu, fondateur de La Boîte à Champignons et ancien Président de l’AFAUP


L’émergence de l’Agriculture Urbaine est l’occasion rêvée de rejouer la querelle des nouveaux contre les anciens, des modernes contre les plus traditionnels. Certains média s’emparent du débat, en donnant parfois des accents polémiques aux prises de paroles des différents acteurs.

Prenez, à ma droite, un mouvement d’entrepreneurs : urbains, souvent Bac+5, ils ont grandi dans la culture digitale, la bouffe industrielle et désirent remettre du bon sens dans notre alimentation et de la nature en ville.  On compte une quarantaine d’entreprises de ce type en France, avec des promesses en rupture avec l’agriculture traditionnelle : « produisez 7 tonnes de fraises par an dans un container », « transformez le marc de café en pleurotes », « combinez élevage de poissons et culture de fruits et légumes », « faites de l’hydroponie haut de gamme », ou encore « transformez un toit de laverie en serre high-tech » : tous proposent des modèles de rupture et sont parfois perçus par les journalistes avec un mélange de fascination et de scepticisme.

Prenez, à ma gauche cette fois, un mouvement associatif, qui n’a pas attendu ces nouveaux entrepreneurs pour végétaliser la ville. Animation de jardins ouvriers, projets sociaux ambitieux, AMAP, composteurs, Incroyables comestibles…. : les associations œuvrent depuis des dizaines d’année pour réhabiliter et valoriser l’agriculture en ville. Elles observent avec joie, mais non sans inquiétude, cette déferlante technologique, marketing et commerciale. Elles veillent à ce que les valeurs de base, celles qui les mobilisent – partage, respect de la nature, pédagogie, humilité, connexion au vivant – ne soient pas instrumentalisées par des entreprises. Ce sont aussi souvent les premières à tester les nouvelles idées, à bénéficier des progrès techniques réalisés, à s’appuyer sur des savoir-faire professionnels pour se simplifier la vie et développer leur projet. 

En toile de fond, vous avez le mouvement agricole, notamment les maraîchers périurbains, ceux qui travaillent 50 H par semaine pour un salaire en moyenne inférieur au SMIC. Ceux qui, dans les faits, remplissent nos marchés, nos AMAP, nos « Ruches qui dit oui » de produits de qualité, souvent bio. Eux peuvent être très surpris d’entendre de la part d’entrepreneurs que « cultiver, c’est simple comme bonjour », ou encore qu’on ne peut plus trouver de produits de qualité en ville et qu’un parking est un endroit idéal pour la culture de fraises, de tomates, ou de champignons. L’agriculture urbaine se situe pourtant directement dans cette filiation. Celle des maraîchers du XIXème siècle, de la plaine des Vertus, de Montreuil, de ces nombreuses zones devenues urbaines qui étaient capables de produire toute l’année des salades de qualité, en récupérant les déchets de la ville, et même d’exporter ce savoir-faire jusqu’en Angleterre. Ce mouvement paysan est lui aussi en pleine mutation sous l’influence de nouvelles pratiques agricoles – agro écologie, permaculture, agriculture biologique – et de l’essor de la vente directe et des magasins militants.

Tout ce beau monde aurait de bonnes raisons de se tirer dans les pattes, se donnant en spectacle face à des consommateurs qui en perdraient leur latin, et peut être un peu leur élan. Mon intime conviction est que l’ensemble de ces mouvements sont profondément complémentaires ; les villes traversent des crises écologique, sociale, urbanistique, alimentaire. Et l’agriculture urbaine est un outil formidablement efficace de lutte contre ces crises, car elle apporte de la résilience, du bon sens, de la stabilité et de la biodiversité en ville. Et puis la frontière entre tous ces mondes est-elle vraiment étanche ? Prenons l’exemple de La Boîte à Champignons. Nous développons notre projet au sein d’une serre horticole, après avoir exploité des caves à Rungis et des containers. Nous travaillons avec de nombreuses associations, soit en tant que client (pour des associations d’insertion par le travail notamment, nous avons l’agrément solidaire ESUS), soit comme fournisseur. Nous sommes en plein dans l’agriculture urbaine en récupérant toutes les semaines 5 à 10 tonnes de marc de café des machines à café d’Ile de France, en livrant Rungis tous les jours, en fournissant du substrat et du conseil à tous ceux qui cultivent sur les toits, ou dans les caves, ou dans leur cuisine. On pourrait dire de même d’un maraîcher qui a son AMAP au milieu d’une banlieue, et qui bénéfice de l’aide de bénévoles, qui fait de la sensibilisation. La petite agriculture, quelle que soit son origine, est de plus en plus hybride et diversifiée : entre la production alimentaire et la vente de services.

La permaculture, qui inspire aussi bien de nombreux projets agricoles, de nombreuses associations, et l’agriculture urbaine (on parle souvent de permaculture urbaine pour des projets comme La Boîte à Champignons) – a pour valeur cardinale l’unité. Observer un système dans sa globalité, dans sa complémentarité, crée beaucoup plus de ponts que cela ne dresse de barrières.

Grégoire Bleu


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Les champignons comestibles